Mon prochain roman paraîtra en octobre prochain chez Sidh Press et s'intitulera "Cœur de Cible". Pour fêter dignement le début du mois de juillet (et aussi ma fête !), je vous propose de découvrir les quatre premiers chapitres de ce one-shot, qui va s'inscrire dans la collection Cœur.
N'hésitez pas à commenter et à donner vos impressions !
Chapitre 1
Julien
Se faire réveiller en sursaut par le cri rauque de son voisin en plein orgasme, accompagné par les gémissements du film porno qu’il matait, n’était pas vraiment ce que Julien, la trentaine passée, appelait « commencer sa journée du bon pied ».
Malgré son agacement et les quarante-cinq minutes qui le séparaient de la mise en route de son réveil, il n’allait pas déroger à son petit rituel matinal. Il se levait à 5h15, toujours du côté droit, et s’étirait à l’aide de quelques flexions, le buste orienté vers l’Est pour faire le plein d’ondes positives. Ensuite, il faisait son lit, remettant convenablement la couette et positionnait les cousins selon un ordre précis. Il se déshabillait, en pliant avec soin son pyjama rouge, et enfilait sa tenue de jogging Chevignon.
À petites enjambées, à six heures pétantes, il déambulait dans les rues à moitié endormies de Paris, empruntant un parcours, qui variait à peine selon la météo et les saisons, évitant les camions-poubelles, les livreurs de poissons, les balayeurs, afin de ne pas être imprégné par leurs odeurs nauséabondes.
Depuis deux semaines, avec les beaux jours et la chaleur qui s’installait petit à petit, annonciatrice d’un été brûlant dans la Capitale, Julien courrait dans les allées poussiéreuses du Parc Monceau, situé non loin de son appartement. Après trois tours et demi, il bifurquait vers la droite, sur le boulevard de Courcelles, afin de regagner la place des Ternes et de finir sa course matinale par cinq tours de pâtés d’immeubles. Quatre à quatre, il grimpait les marches de l’escalier, s’étirait promptement sur son palier, en prenant soin de ne pas croiser de voisin puis entrait dans son luxueux logement cossu de cent mètres carrés, tout à fait XVIe arrondissement.
Une fois lavé, après avoir éradiqué le moindre poil de barbe afin d’obtenir une peau aussi lisse qu’un bébé, s’être apprêté avec l’un de ses costumes noirs Hugo Boss, le jeune homme se hâtait de confectionner son petit déjeuner, toujours dans le même ordre. Il pressait ses trois oranges, faisait couler son café de sa Nespresso d’intensité 10 et griller ses deux tranches de pain de mie au blé complet. Pendant ce temps, il brouillait quatre blancs et deux jaunes d’œufs dans une poêle antiadhésive, salait à peine et après une cuisson de cinq minutes, débarrassait l’ensemble dans une assiette creuse. Ensuite, il s’asseyait sur son tabouret et tout en lisant les articles de journaux sélectionnés par l’application de sa tablette, dégustait son repas. Dès qu’il avait fini, il nettoyait consciencieusement sa place, lançait son lave-vaisselle, nouait ses chaussures de ville Gucci et fermait à triple tour la lourde porte de son appartement.
Vers huit heures trente, après avoir envoyé un SMS à Tatiana, sa fiancée ukrainienne, il filait d’un pas soutenu vers son bureau. Depuis huit ans, il était directeur du marketing de la société CDA, une agence de publicité réputée dans le monde entier. Il adorait son travail : concevoir des publicités pour les grandes marques de luxe.
À neuf heures, le portable à la main, les yeux rivés sur ses mails professionnels, il entrait dans l’imposante bâtisse de l’entreprise, située dans le VIIIe, à quelques encablures des Champs-Élysées.
— Bonjour Julien, dirent en chœur les deux standardistes Sophie et Sophie.
Les deux jeunes femmes, d’une vingtaine d’années, passaient plus de temps à fumer des joints dans les toilettes et à faire des farces de collégiennes qu’à accueillir les clients.
— Bonjour Mesdemoiselles, lâcha-t-il sans leur prêter attention.
— Votre lacet est défait, lança la blonde.
Il lui jeta un regard en biais.
— Ça ne marche pas avec moi, Sophie.
— On peut toujours essayer, souligna la châtaine.
Julien les gratifia d’un rapide « bonne journée », puis s’engouffra dans l’escalier.
Alors qu’il allait franchir la porte de son bureau, au deuxième étage, une élégante métisse avoisinant la quarantaine dont le tailleur sublimait les courbes l’interpella :
— Fais voir ta tête !
Le jeune homme soupira.
— Elle va très bien, ma chère. Tu ne vas pas me faire un check-up tous les matins.
Elle opina du chef.
— Oh que si, Monsieur Courvivot ! Tu travailles trop. Je te l’ai déjà dit.
— Normal, tu n’as embauché que des incapables, lança-t-il en entrant dans la pièce.
Claire Jarre était la directrice de l’agence. Diplômée des plus grandes écoles américaines, elle avait monté sa boîte de pub il y a dix ans en France. Elle avait toute de suite vu le potentiel de cet homme beau et athlétique aux cheveux noirs gominés qui allait devenir son directeur de marketing. Elle avait tendance à donner leur chance à tous ces jeunes qui, sortant des écoles de commerce ou de marketing, manquaient d’expérience.
— Tu exagères, soupira-t-elle.
— Vraiment ? Par où commencer… Sophie et Sophie à l’accueil qui passent le plus clair de leur temps à inventer des conneries. Valentin de la comptabilité qui ne sait pas faire la différence en débit et crédit car (dixit) « c’est pas de ma faute, ça finit par les mêmes lettres », Khaled de la conception numérique qui n’arrive toujours pas à réaliser un copier-coller...
— Tu as fini ? trancha Claire.
— Je peux continuer, maugréa-t-il, la liste est longue. En bref, tu colles ton oreille à la leur, tu entends la mer…
— Ils bossent tous très bien.
— C’est ce qu’ils te font croire dans la cuisine lors de la pause du matin en te caressant dans le sens du poil. Une chance que je passe derrière eux pour rattraper leurs bourdes, embraya Julien en s’asseyant à son bureau.
Elle leva les yeux au ciel.
— Notre équipe est formidable et tu le sais. L’entreprise tourne presque toute seule. Que tu le veuilles ou non, nous ne sommes plus indispensables…
— Je sais, coupa-t-il en tapant son mot de passe. Les cimetières en regorgent de gens comme nous.
— Julien, ça fait trois ans que tu n’as pas pris de vacances et…
— Et je n’en prendrai pas. Tu ne vas pas recommencer.
— Alors, lève le pied ! Plus les jours passent, plus j’ai l’impression d’avoir en face de moi un zombi de Walking Dead.
Il fronça les sourcils.
— Il n’y a pas à dire, Claire, tu es charmante. Me traiter de cadavre en décomposition, tu as le sens du compliment. Rassure-moi j’en ai pas l’odeur ?
Elle lui accorda un sourire.
— Je te le répète, lève le pied !
— Pour quoi faire ? Si c’est pour me retaper toutes les campagnes que nos assistants en conception auront bâclées, autant rester ici, on gagnera du temps. Et on dépensera moins d’argent.
— Si tu le dis, fit Claire en jetant un œil sur sa montre. Bon, on a une réunion à dix heures avec Matthieu, le directeur de communication de chez Chanel.
— Ils refont une campagne de pub ? Leur dernière date de moins de six mois.
— Il paraît que leur nouvelle égérie n’a pas compris que Facebook live n’était pas un canal privé pour diffuser une sex-tape.
— Formidable ! Encore une preuve que la télé-réalité expose les plus grands cerveaux de notre siècle ! railla le jeune homme en se calant dans son fauteuil tout en faisant tournoyer son stylo Montblanc avec l’index.
— Matthieu a été plus cru au téléphone, observa-t-elle.
— Et donc, ils veulent qu’on redore leur blason ?
— En somme.
— Le délai ?
— Une semaine, voire deux.
Sifflement de Julien.
— Autant qu’ils prennent Tom Cruise comme tête d’affiche : ça devient Mission impossible, leur truc.
— Soumets-leur l’idée ! Troquer une starlette dénudée contre un scientologue has been. Ils vont adorer.
— Je n’y manquerai pas, affirma-t-il.
Claire sourit du coin des lèvres, tourna les talons et partit dans la direction de son bureau.
Pendant l’heure qui suivit, Julien peaufina le dossier de présentation qu’il allait proposer au comité de l’industriel de luxe. Comme toujours, le jeune homme pesa le pour et contre, souligna les défauts de la précédente campagne, trouva des idées novatrices en faisant les cent pas autour de son bureau et, une fois son esprit parfaitement clair, réalisa un PowerPoint expliquant les nouveautés de la campagne qu’il souhaitait insuffler et le design qui voulait instaurer.
Un quart d’heure avant la présentation, il s’octroya une pause, selon le même cérémonial. Il entra dans la cuisine, salua ses collaborateurs de loin, prit une tasse dont il inspecta chaque recoin, fit couler un café d’intensité 12 et y versa un nuage de lait. Ensuite, il s’installa sur la chaise près de la fenêtre donnant sur la petite cour intérieure, déplia le journal et le feuilleta tout en sirotant son breuvage, s’isolant ainsi des conversations de ses subordonnés. Pour lui – directeur du marketing -, elles étaient souvent superficielles, sans intérêt, que ce soit au niveau relationnel ou philosophique. Il préférait mettre des barrières. D’ailleurs, il reprochait souvent à Claire de faire ami-ami avec eux. Dans sa conception de l’entreprise, il était inconvenant qu’une patronne ait autant de familiarité avec ses employés.
Sa dernière gorgée de café avalée, Julien se leva, rangea son siège, lava sa tasse, l’essuya et la déposa dans le placard, profitant de l’occasion pour arranger la vaisselle. Ensuite, il se dirigea vers la salle de réunion, où Claire l’attendait déjà en compagnie du fameux Matthieu. Les deux hommes ne s’appréciaient guère. Leur animosité avait pris racine dans une vieille querelle, remontant à leur première année d’étude, lorsqu’ils arpentaient les couloirs de l’ISTEC – École supérieure de commerce et marketing de Paris. Depuis qu’ils avaient failli en venir aux mains, chacun campait ses positions et sur son aversion pour l’autre. D’ailleurs, tout le petit milieu de la publicité était au courant. Ils ne s’en cachaient pas. Pourtant cela ne les empêchait pas de travailler ensemble. Leur relation était froide mais courtoise.
— Matthieu, salua le directeur de marketing.
— Julien, répliqua l’autre d’un hochement de tête.
— Puisque les deux meilleurs amis au monde sont enfin réunis, fit Claire, nous pouvons commencer.
L’entretien dura à peine une heure et demie, mais elle fut concluante. Un accord avait été trouvé, et Matthieu, malgré quelques réticences sur la nouvelle campagne promotionnelle, semblait enclin à réévaluer, à la hausse, le budget alloué. En même temps, Julien leur avait promis une grande star américaine du cinéma. Maintenant, le plus dur serait de la trouver…
— Un jour, il faudra m’expliquer comment tu fais… marmonna Claire à Julien en regardant s’éloigner le délégué de Chanel. Tu vendrais un frigo à des Inuits.
— Le talent, sans doute, répondit-il d’un air lointain.
— En tout cas, ce n’est pas grâce à ta modestie, railla-t-elle en tournant les talons.
— C’est clair, ajouta-t-il en lui emboîtant le pas.
— Je ne te propose pas une coupe de champagne pour célébrer ça, dit-elle en remontant le couloir qui menait à son bureau.
— Jamais pendant le travail, confirma-t-il. Ce soir, si tu veux…
Elle arqua les sourcils.
— Toi ? Sortir le soir ? fit-elle en s’arrêtant net devant le pas de son bureau. Tu as eu la permission de ta Marraine Fée ?
— Et contrairement à Cendrillon, seulement jusqu’à vingt-deux heures.
— Ouh la ! C’est presque de la discrimination, ça !
— Comme tu dis...
Claire toisa Julien d’un air réprobateur :
— Monsieur Courvivot et son incompréhensible hygiène de vie… soupira-t-elle.
— Il faut savoir se coucher tôt si tu veux conquérir le monde le lendemain.
— Il faut surtout savoir décompresser un peu, Chose que tu ne connais pas, mon cher.
— Je n’ai pas le temps pour les futilités, répliqua-t-il en pianotant sur son portable.
— Ce ne sont pas des futilités, protesta Claire.
— Tu appelles ça comment toi ?
— Vivre.
— Grand bien te fasse, lâcha-t-il en rebroussant chemin et en se dirigeant vers son office.
— Je suis sérieuse, Julien. Apprends à te relaxer.
— La relaxation est un luxe pour feignant.
— Tu risques de perdre Tatiana si tu continues ainsi,
— Tatiana comprend très bien la situation.
— Je crois surtout qu’elle préfèrerait avoir un mari en bonne santé dans trois mois, plutôt qu’un cadavre entre quatre planches la semaine prochaine.
— Tu me diras, dans les deux cas, je serai en costume.
Claire le fourdroya du regard.
— Arrête de te cacher derrière ton cynisme !
— Et toi, cesse de me réprimander ! Je n’ai pas besoin d’une deuxième mère juive. La mienne est parfaite dans le rôle.
Il appréciait beaucoup Claire. Mais, parfois, il trouvait son côté protecteur un peu étouffant. Il devait déjà supporter les interrogatoires de sa mère, Sarah, lors du dîner de sabbat, sans parler de ceux de ses sœurs. Inutile d’en rajouter au boulot.
— Mais…
— N’insiste pas, Claire. Je ne prendrais pas ces fichues vacances.
Sur ces mots, il s’engouffra dans le couloir de droite et s’éloigna d’un pas décidé, faisant fi de toute recommandation.
Comme chaque jour, il prit un rapide déjeuner à la brasserie du coin de la rue en compagnie de sa fiancée. Ils s’étaient rencontrés par l’intermédiaire d’amis en communs, il y a quatre mois. Au départ, Julien ne semblait pas conquis par celle qui allait être Madame Corvivot dans quelques semaines. Il l’avait trouvé trop superficielle ; mais la jeune fille, au fil des rendez-vous, avait su dompter son caractère sauvage.
Elle lui racontait, dans un français et un anglais assez approximatifs, ses occupations matinales et notamment ce jour, ses diverses recherches d’un lieu pouvant accueillir leur banquet de mariage. Elle avait sélectionné une demi-douzaine de châteaux en Sologne, la région natale de Julien. Ce qui fit tiquer celui-ci, ce n’était pas tant leur distance de la Capitale, que le prix exorbitant de la location pour une soirée. Alors que le serveur leur apportait leur dessert, il promit à sa dulcinée d’y réfléchir durant l’après-midi, pendant qu’elle finirait ses emplettes nuptiales.
Cependant, pour ce grand brun aux yeux sombres, c’était tout vu. Hors de question de dépenser autant. Ayant une idée très précise de ce qu’il voulait, il avait déjà planifié dans sa tête jusqu’au moindre détail.
Sans conteste, Julien Courvivot était maniaque, ordonné, consciencieux, prévoyant. Il détestait les imprévus et les contraintes imposées par des tiers. Sa vie étant réglée comme un papier à musique, pas question qu’on le prenne au dépourvu !
Mais en ce début d’après-midi, alors qu’il venait de s’isoler dans les toilettes et s’asseoir sur la lunette noire, la vie se permit de lui rappeler quelques principes de base.
Oui, Julien ne s’attendait sûrement pas à être foudroyé par une crise cardiaque.
Chapitre 2
Damien
La grand-mère de Damien lui avait répété maintes dois qu’il valait mieux faire ses courses le ventre plein afin d’éviter de ramener des choses inutiles. Visiblement, cet adage devrait s’appliquer à ses virées nocturnes.
Le jeune homme ouvrit avec grande difficulté les paupières, et fut aussitôt ébloui par les rayons du Soleil provenant de sa fenêtre exposée plein Sud. Il distingua vaguement sur son chevet son téléphone portable qu’il saisit.
Dans un soupir, il s’aperçut qu’il était quinze heures passées. Il remarqua aussi qu’il était nu comme un ver. Sa bouche était pâteuse, signe incontestable qu’il avait trop abusé niveau alcool la nuit derrière.
Il gratta ses cheveux châtains hirsutes, puis les poils de son torse. Il entendit un bruit sourd à ses côtés. Damien pivota et vit une forme bougeait sous sa couette. Il se frotta les yeux et sortit à voix basse :
— Et merde !
Il souleva l’épais édredon et vit un charmant blondinet endormi, nu lui aussi.
— Et merde ! répéta-t-il en s’allongeant sur le matelas.
Damien était un jeune homme de vingt-six ans, croquant la vie la pleine dent. Son leitmotiv ? Être droit dans ses bottes, assumer ses faits et gestes, que cela n’en déplaise aux plus grands nombres. Un brin bohème, parisien de naissance et dans l’âme, papillonnant à droite et à gauche aussi bien en amour que dans le boulot, faisant fi des racontars et des ragots, il n’avait pas de port d’attache particulier. Depuis plusieurs années, il n’arrivait pas à se fixer, devant un électron libre encombrant dans sa famille guindée.
Il vivait grâce à ses économies qu’il avait pu glaner au gré des années lorsqu’il travaillait dans l’évènementiel ou comme secrétaire juridique dans un cabinet d’avocats réputé. Depuis plus de six mois, il squattait dans la chambre d’amis de l’appartement de son cousin, Matthias, un négociant en vin. De plus, le jeune homme filtrait les appels incessants de son banquier qui s’alarmait de l’état de ses finances.
Avec la plus grande délicatesse, sans réveiller son poisson nocturne qui bavait à outrance sur l’oreiller, il se leva, enfila le premier boxer venu qui traînait sur le parquet ciré, et quitta la pièce sur la pointe des pieds. Alors qu’il entra dans la cuisine, il poussa un cri de frayeur.
— Tu m’as fait peur !
Mathias déposa sa tasse de café dans l’évier.
— Désolé. Tu as vu l’heure ?
— Tu ne vas pas me faire des reproches dès le matin, renâcla-t-il en traînant des pieds et en s’avançant vers la machine à café.
— Dès le matin ? Il est 15 h 22.
— Soit 9 h 22 à Montréal. J’ai pas tort.
Matthias émit un rictus amusé.
— Passé une bonne soirée ?
— Je crois, répliqua-t-il hésitant.
— Vu le bordel que tu as fait lorsque tu es rentré, je peux t’affirmer qu’elle fut bonne.
— Tant que ça ?
— Je crois que ton surnom va devenir Sirène Hurlante.
Damien déglutit en ouvrant le placard des tasses.
— J’avoue… Je me suis un peu emporté. Mais qu’un autre côté, la vie est courte, autant profitez ce que la nature nous offre.
— Surtout si c’est un beau mec avec une pinte de bière, ajouta Matthias amusé.
— Cela va de soi ! Donc, je profite ! D’autant plus lorsqu’il est membré comme un cheval.
Ce dernier appuya sur la machine et fit couler le précieux breuvage noir.
— Peut-être, mais de là à entendre tes gémissements jusqu’au hall d’entrée, il y a une marge.
Le jeune homme grimaça et dit :
— A quand même… J’étais en forme ce matin !
Matthias lui tapota l’épaule.
— N’est-ce pas ?
Alors qu’il prit sa tasse, il fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que tu fais là d’ailleurs ? demanda Damien en avalant une gorgée.
— Je suis venu prendre mes affaires.
Le jeune Bohème le regarda en biais.
— Tu as oublié. Comme toujours.
— Attends, je vais me souvenir…
Matthias pesta.
— Je pars quinze jours pour un colloque…
— A Mexico ! hurla Damien, fier.
— A Santiago.
— Pas loin, nuança-t-il avec une mauvaise foi qui le caractérisait tant. Ça parle espagnol dans les deux cas.
— Toi et la géographie…
— A l’échelle de l’Univers, c’est la porte à côté…
Le négociant viticole pianota sur son portable, confirmant ainsi le taxi qui devait l’amener à Roissy.
— D’ailleurs, à mon retour j’aimerais que la chambre d’amis soit libre.
Damien posa violemment sa tasse sur le comptoir.
— Tu me fous dehors ?
— Allez… de suite… Les grands mots… Non. Je ne te fous pas dehors.
— Ça y ressemble, pourtant !
— Pas du tout ! Je ne t’ai pas dit de déguerpir dans les trente secondes en prenant sous ton bras toutes tes affaires qui trainent sur le parquet… Ou qui trainent dans ton lit, par la même occasion. Non.
Tandis que Damien fit la moue, Matthias se pinça les lèvres et lui sort :
— Prends ça comme un préavis.
J’ai de la chance qu’il ne m’ait pas envoyé un recommandé !
— Mais pourquoi je dois partir ? s’offusqua Damien. Je me sens bien ici.
— Un peu trop peut-être.
— Il ne faut pas exagérer.
— Ah bon ? Je ne compte plus les soirées boxer-film-chips ou les fiestas intempestives.
— Si peu, minimisa Damien en se grattant les fesses.
— Sans parler des popcorns et des miettes sous les meubles que je retrouve trois semaines après…
— Tu es trop maniaque, je te l’ai déjà dit.
— Et toi, trop bordélique.
— Question de point de vue.
Matthias se pinça le haut du nez et soupira.
— Avec Daphnée, ça devient sérieux. Je vais lui proposer d’emménager avec moi à mon retour.
Le jeune homme se marra.
— Ahhh. Rien n’est fait alors ! On n’est pas aux pièces !
— Si !
— Pas du tout, enchaîna l’ancien secrétaire juridique. Ta fiancée est une éternelle indécise. Je te rappelle que la dernière fois que nous sommes allés au resto, elle a mis une demi-heure pour choisir son entrée, à croire qu’elle n’arrivait pas à déchiffrer le menu…
— Alors, primo, tu t’es incrusté dans cette soirée qui devait être romantique et deuzio, elle est aveugle.
— Détail…
— Je l’aime et j’ai envie de construire quelque chose de solide avec elle. Donc, puisque tu aimes temps profiter de la vie, profite de ton temps libre pour trouver un appart.
— Impossible.
Matthias écarquilla les yeux.
— Et pourquoi ?
— Il faut que je trouve d’abord un boulot. Et vu l’état actuel du marché, ça va être compliqué.
Son cousin enfila la veste qui reposait sur l’accoudoir du sofa et lui sort d’une voix blanche :
— Ce que j’adore avec toi, Damien, c’est que tu trouveras toujours un truc pour éviter de faire face à tes responsabilités. Tu as vingt-six balais. Tu es sans domicile, sans boulot. Tu ne penses qu’à t’amuser. Tu vis ta vie de bohème gay à la perfection. Je sais pourquoi tu fais ça. Je comprends. Je te soutiens depuis le début. Je t’apprécie énormément, mais depuis un moment, tu n’es plus un cousin, mais un gros boulet.
— J’ai pris un peu de bide, c’est vrai… ironisa-t-il en inclinant la tête et en fixant son torse.
— Je suis sérieux, Damien ! Donc, désolé, mon grand, mais quand je reviens du Chili, je ne te laisse plus le choix.
— C’est-à-dire ?
Matthias prit une profonde inspiration.
— Soit tu redescends sur Terre et tu deviens enfin un adulte…
— Tâche ardue.
— Soit j’appelle tes parents.
Le visage de Damien se décomposa sur place. Il savait que son cousin en était capable. Il était hors de question que ses parents soient au courant de sa vie de bohème et dissolue de ces derniers temps. Il savait pourquoi il avait coupé les ponts avec eux et ne voulait surtout qu’ils reviennent pour le seriner avec leurs principes moralisateurs.
— Tu n’es pas très sympa… minauda Damien. Moi qui pensais que j’étais ton cousin unique et préféré.
— C’est le cas. En même temps, tu es le seul.
— C’est ce que je dis, lança-t-il amusé.
Le portable de Matthias retentit.
— Mon taxi est en bas, prévint-il en agrippant sa valise. Je te fais confiance, OK ? Trouve rapidement un boulot et commence à chercher un appartement !
Le jeune homme fit un sourire contraint et forcé.
— Oui, Maman.
Matthias leva les yeux au ciel et hausse les épaules. Sans rien ajouter, il quitta la pièce en tirant son sac de voyage. À peine la porte d’entrée claquée, le poisson nocturne de Damien, un joli éphèbe blond, complètement nu et plutôt bien foutu, débarqua dans la pièce.
— Il y a de l’animation chez toi, constata l’individu qui s’approchait de lui.
Il opina du chef.
— C’est ton mec ?
Damien explosa de rire et sort :
— Certainement pas ! C’est mon cousin.
— Cool, répondit le type en lui caressant l’entrejambe.
Damien recula d’un bon mètre, gêné.
— Ça va te sembler un peu con, mais, c’est quoi déjà ton prénom ?
— Alphonse.
Le jeune homme ricana.
— Pour de vrai ?
Le mec tiqua.
— Alphonse, répéta-t-il, la mine grave.
Damien grimaça, comprenant ainsi sa bévue :
— OK. Écoute, c’était super fun, mais là je n’ai pas la tête à ça.
— Ça tombe bien, souligna le fameux Alphonse, ce n’est pas de ta tête que je veux m’occuper.
Un poète en plus !
Damien se recula davantage.
— Non vraiment.
— Tu étais moins farouche hier soir dans les toilettes du bar, fit son Don Juan de pacotilles en le plaquant contre le plan de travail en marbre.
— Avec trois grammes d’alcool, qui ne le serait pas ? Mais là, j’ai dégrisé.
— Dommage, j’ai encore envie de toi.
— J’ai cru comprendre mais vraiment, sans façon.
Damien détestait ce genre de mecs qui pullulaient de plus en plus dans le Marais. Ils ne savent jamais s’arrêter, se prennent pour des super amants, toujours en manque, prêt à remettre le couvert dix fois de suite, même s’ils sont aussi secs que le Grand Canyon. Généralement, ils sont bien foutus – et ils le savent – et ne couchent qu’avec leur semblable. De temps à autre, pour le sport, ils s’envoient en l’air avec un moche, c’est-à-dire un type qui n’a pas d’abdos dessinés ou des pecs démesurés, bref avec un type normal. A leurs yeux, Damien faisait partie de cette catégorie. Pourtant, aussi bizarre que cela puisse paraître, il s’accommodait de la situation. Il savait bien qu’il n’était une gravure de mode, qu’il allait à la salle de musculation au moins une fois par semaine – histoire de justifier l’abonnement – et qu’il ne souciait pas trop des calories qu’il ingurgitait. C’était pour toutes ces raisons pour que Damien essayait d’en ramener le moins possible chez lui, préférant découcher. Et puis, comme il disait souvent : le sexe c’est comme le Destop, rien ne vaut un bon coup de temps à autre pour entretenir les canalisations.
— Je suis attendu dans trente minutes à l’autre bout de la ville.
— Vraiment dommage, minauda Alphonse.
Poliment, mais en le pressant, Damien réussit à se dépêtrer de son coup d’un soir. Ce dernier lui glissa son numéro de téléphone sous l’élastique de son boxer lorsqu’il quitta l’appartement.
Le jeune Parisien extirpa le bout de papier dès la porte se referma et le jeta aussitôt. Il n’avait pas l’envie de se caser, de fonder une famille pour le moment, et encore moins avec ce genre de mec, source d’emmerdes par excellence.
Vers seize heures, Damien décida de sortir et de prendre un café au Starbucks du coin de la rue. Il adorait flâner, regarder les piétons déambulés dans le tumulte de la ville, ainsi que les véhicules fonçant dans les rues et les boulevards, à l’instar du camion de pompiers qui venait de passait devant lui à toute allure.
Oui, Damien, cet homme tranquille, un peu rêveur, aimait sa vie de bohème qui avait construit depuis plus de trois ans, sa vie sans pression et sans responsabilité qu’il choyait à chaque moment de la journée.
Il ne se doutait pas un seul instant que le véhicule écarlate d’urgence, toute sirène hurlante, qui venait de débouler dans son champ de vision et qui fonçait vers l’hôpital Necker, était le premier signe d’une longue liste de changement qui allait chambouler, à jamais, son quotidien.
Chapitre 3
Julien
Julien ouvrit les yeux. Ses paupières semblaient lourdes et collantes. Sa bouche était sèche. Son haleine devait avoisinée celle d’un vieux chacal qui avait trois pattes dans la tombe. Malgré le voile qui lui brouillait la vision et la grande difficulté qu’il avait à fixer les choses, il balaya du regard la pièce dans laquelle il se trouvait. La luminosité était bien trop importante, lui brûlant presque la rétine. Une désagréable odeur, à la fois irritante et grasse, vint lui titiller les narines, lui donnant presque la nausée.
Bref, il avait cette horrible sensation d’être allongé dans un local à entretien d’un restaurant bon marché.
Soudain, il entendit une sorte d’agitation non loin de lui, ainsi que des bruits métalliques, provenant de derrière la porte qui distinguait à peine.
Julien plissa les paupières, essaya de se mouvoir, mais sans succès. Il était comme cloué au sol, comme si ses forces lui avaient été ôtées. Il remarqua une longue perche ainsi qu’un tuyau qui le relayait à une perfusion.
Non, il n’était pas dans un restaurant bas de gamme, mais dans une clinique.
Je déteste ce genre d’endroit. Plutôt crever que de rester là !
Le directeur de marketing grommela et commença à tirer dessus.
— Tu fais quoi ? hurla une voix.
Il pivota sa tête dans cette direction. Il vit alors, Claire, le visage rubicond, lui faisant les gros yeux.
— Je suis en enfer, c’est ça ?
— À ce que je vois, tu n’as pas perdu ton sens de l’humour douteux !
Il s’acharna sur le sparadrap qui maintenait l’aiguille.
— Tu fais quoi ? répéta sa patronne.
— Je tricote. Ça ne se voit pas.
— Mais veux-tu lâcher cette perfusion, oui !
— Pas envie de rester ici ! Tu connais le pourcentage de chance de choper un staphylocoque doré ?
Claire soupira.
— Faible.
— 66 pour cent. J’appelle pas ça faible.
— Cesse de te comporter comme un gamin ! rouspéta-t-elle.
— D’abord, qu’est-ce que je fous ici ?
Elle croisa les bras.
— Tu te rappelles de quoi exactement ?
Le jeune homme se redressa légèrement et fronça les sourcils, essayant de regrouper les bribes de souvenirs.
— Je venais de finir de déjeuner avec Tatiana. J’arrive devant mon bureau, puis j’ai l’impression d’avoir une envie pressant. Je pars dans les toilettes et…
— Ensuite ?
— Il me semble que je suis entré dans une cabine… Enfin, pour…
Claire se pinça les lèvres pour dissimuler son fou rire naissant.
— Tu as eu une crise cardiaque sur le trône, dit-elle en se mordant la joue.
— Tu déconnes ?
— Pas du tout, articula-t-elle en essayant de garde son sérieux.
— Merde.
— C’est le cas de le dire.
Julien la regarda en biais, peu réceptif à son trait d’esprit.
— Je suis où exactement ?
— Hôpital Necker. C’est Jean-Paul qui t’ai opéré.
Jean-Paul, le troisième mari de Claire, était un cardiologue mondialement réputé. Même s’ils avaient divorcé depuis longtemps, ils avaient gardé une sorte de proximité et d’entende amicale.
— Il est parti faire un tour, enchaîna-t-elle. Il m’a promis de revenir rapidement.
— Et sur mon palpitant ? Il a dit quoi ?
— Que tu as de nouveau un cœur de jeune homme. Mais il t’expliquera mieux que moi. Car quand il commence à partir dans ses délires chirurgicaux, j’ai tendance à être prise de narcolepsie profonde.
— OK.
Une douleur au côté gauche se diffusa rapidement dans tout son corps, le faisant grimacer.
— Ça tire ! grogna-t-il.
— Tu m’étonnes. C’est l’histoire de quelques jours.
— J’espère.
— Pour ta gouverne, les pompiers ont eu du mal à t’extraire des chiottes.
— Ah bon ?
— Ils m’ont pété la moitié des cloisons, lâcha-t-elle le plus sérieusement du monde. Résultat des courses : c’est Tchernobyl.
— Ben écoute, la prochaine fois qui me prend l’envie de me payer un triple pontage, je ferais ça dans ton bureau, promis. Vu le bordel déjà existant, cela ne fera pas une grande différence.
— Mais c’est qu’il reprend du poil de la bête, le petit forçat de la pub.
Julien écarquilla les yeux, satisfait.
— Puisque ça t’intéresse, j’ai prévenu Tatiana.
— Ah…
— Enfin prévenu, nuança-t-elle. C’est un bien grand mot. Je ne suis pas sûr qu’elle a bien tout saisi de l’affaire.
— Elle comprend de mieux en mieux le français, tu sais.
Claire planta son regard dans celui de Julien.
— Elle m’a répondu : plutôt du caviar.
Julien se mordit les lèvres, l’air interrogatif.
— J’ai pas insisté. Tu te démerderas.
Tout à coup, les deux amis furent interrompus par des coups sur la porte de la chambre. Sans attendre la réponse, un docteur, en blouse blanche, la quarantaine, plutôt élégant entra d’un pas décidé.
— Tiens, voilà mon troisième époux ! remarqua Claire en lui faisant un clin d’œil.
— Comment va notre bourreau des cœurs ? clama, sourire aux lèvres, Jean-Paul.
— Cynique, répliqua son ex-femme.
— Comme toujours, s’amusa-t-il de rétorquer.
— Il a voulu se barrer, dénonça Claire. Heureusement que j’étais là pour le retenir.
— Toi ? Retenir un mec ? s’étonna le chirurgien. C’est bien la première fois ! Tu ne t’es pas fait prier pour me foutre à la porte.
— Toi, ce n’est pas pareil. Je t’ai pris en flag dans ton bureau avec une infirmière.
Ils se pensent drôles, Omar et Fred ?
— Bon, lâcha Julien d’une colère froide, dès que vous avez fini votre spectacle, les duettistes, vous me préviendrez…
— Il est chafouin, ironisa Claire. Le traitement ne lui convient pas.
— C’est votre humour qui ne me convient pas.
Jean-Paul soupira puis s’éclaircit la voix :
— Tu as fait une jolie crise cardiaque. J’ai pratiqué qu’une petite opération. Rien de bien grave rassure-toi.
Julien fit la moue.
— Je ne comprends pas pourquoi j’en ai fait une, d’ailleurs. Je fais du sport. Je mange sainement. Je ne fume pas. Je bois modérément.
— Peut-être. Mais les infarctus ont d’autres origines. À quand remontent tes dernières vacances ?
Claire esquissa un sourire.
Julien planta son regard dans celui de Jean-Paul puis de sa patronne.
— Vous vous êtes donnés le mot ?
— Pas le moins du monde, dit-elle.
— Alors ? demanda Jean-Paul. Combien de temps ? 6 mois ?
Claire explosa de rire.
Son ex-mari s’étonna.
— Tu es loin du compte, mon Jean-Paul.
— OK. 1 an ?
La patronne de l’agence CDA rit de plus belle et lui fit signe de la main d’augmenter la donne. Le médecin prit une mine surpris.
— Vraiment ? 1 an et demi ? Deux ans ?
— Trois ! hurla-t-elle, fière.
— Ouh la vache ! s’écrit-il, effaré puis se tourna vers Julien : C’est un miracle que tu ne sois pas dans un cercueil depuis tout ce temps !
Il ne faut pas exagérer non plus !
Julien leva les yeux au ciel.
— Il va falloir du repos forcé.
Le directeur en marketing le fixa avec insistance.
— Je refuse.
— Ne fais pas ton enfant, rouspéta Claire.
— Vraiment Julien, insista Jean-Paul, je te conseille de prendre quelques jours de repos pour ménager ton cœur. Tu vas avoir un traitement et…
— J’irai au boulot dès demain, interrompit Julien. Nous avons une présentation avec une marque japonaise. Hors de question que je la loupe pour une vulgaire histoire de baisse de tension.
— Mais tu es complètement inconscient, ma parole ! tonna son amie. Ta santé est bien plus importante qu’un bol de nouilles déshydraté.
— Ça fait deux ans que je suis sur ce projet. C’est inespéré que cette société nous fasse confiance. Je ne vais pas tout mettre entre parenthèses parce que j’ai tourné de l’œil trente secondes dans les chiottes…
— C’est plus grave qu’un simple malaise vagal, nuança le médecin.
— Je peux sortir de l’hôpital ce soir ? demanda Julien. Je dois finir ma présentation.
Soudain, le bip du docteur retentit dans la pièce.
— Je suis appelé au bloc, dit Jean-Paul. Je vais y aller. De toute façon, tu restes en observation cette nuit.
Julien grogna.
— C’est comme ça et pas autrement, ordonna Claire.
— Nous verrons ton état demain, lâcha-t-il en partant de la chambre. Ensuite, on avisera.
C’est tout vu ! Je me casse dès la première heure !
Jean-Paul quitta la pièce d’un pas pressé, laissant le jeune homme ruminant sa colère.
— Tu es incroyable, hein ! maugréa-t-elle. Tu fais une crise cardiaque due au stress et toi, tranquille, tu veux reprendre le boulot demain, comme si rien ne s’était passé.
— Mais c’est le cas, affirma-t-il.
Claire secoua sa tête, éberluée, et commença à faire les cent pas dans la chambre.
Un long silence pesant s’installa alors. Seuls les bruits des charriots des infirmières dont les roues grincent terriblement, vinrent troubler la lourde atmosphère qui régnait.
Soudain, son amie s’arrêta et le fixa.
— Réponds à ma question, Julien. Vas-tu prendre un mois de vacances pour te reposer, oui ou non ?
Sans un mot, il secoua négativement la tête.
— Très bien. Je sais ce que je vais faire.
— Me virer ?
Elle émit un sourire en coin.
—Tu veux que je coule ma boîte ? Certainement pas. J’ai encore des mensualités à rembourser sur mon appartement à New York.
— Alors quoi ?
— Devine…
— Tu n’es pas claire. Ce qui est ironique d’ailleurs.
— Ah, ah, ah, articula-t-elle faussement hilare. Et après, on dira que mon humour est nul. Bref.
— Alors tu proposes quoi ?
— Un assistant.
Il écarquilla les yeux, effaré.
— Moi. Vivant. Jamais.
— Ah mais… il est mignon, s’étonna-t-elle.
— Quoi ?
— Julien, tu n’as pas très bien compris. Je ne te laisse pas choix, en fait.
— Comment ça ?
— Soit tu prends quelques jours de vacances forcés – où… je m’en fous… c’est le cadet de mes soucis – soit j’embauche un assistant.
— Tu sais ce que j’en pense des assistants…
Elle opina du chef.
— Je sais. C’est à toi de voir.
Quelqu'un toqua de nouveau à la porte. Une charmante infirmière débarqua avec un sourire qui illumina son visage.
— Excusez-moi, Madame, les visites sont terminées.
— Merci. Ça tombe bien ! Je devais partir.
— Il vaut mieux.
— Tu me donneras ta réponse demain, lorsque tu reviendras à l’agence.
— C’est tout vu, répliqua-t-il, amer.
Claire pivota, prit son sac à main et quitta la pièce, excédée.
Durant toute la soirée, en zappant frénétiquement à la télévision, Julien ne décolérait pas de l’ultimatum que son amie lui imposait. Mais il était trop fier pour céder. Il savait, tout comme elle, qu’il avait toujours le dernier mot. D’ailleurs, son énervement ne s’était pas arrangé lorsqu’il réussit enfin à joindre sa fiancée. Cette dernière lui fit un esclandre. Elle avait poireauté pendant deux heures devant la boutique Nespresso, trouvant cela inadmissible. Même en lui narrant sa crise cardiaque et son hospitalisation forcée, elle ne l’excusa pas et finit par lui raccrocher au nez.
Elle est sérieuse ? songea Julien en fixant son écran de portable, mi atterré mi-surpris. Mais qu’est-ce qu’elles ont toutes ce soir ?
Alors qu’il s’apprêtait à se coucher, très mal installé sur le matelas inconfortable, il reçut un texte de sa patronne lui signifiant la publication d’une annonce demain pour son fameux assistant.
Il rumina. Il détestait viscéralement qu’on lui impose quelque chose. Julien comprit que Claire allait tout faire pour qu’il craque. Elle voudra embaucher coûte que coûte une pauvre nana empotée de ses dix doigts pour un poste d’assistant dont il n’avait pas l’utilité.
C’était décidé ! Il fera tout pour l’en dissuader.
Chapitre 4
Damien
Une violente sonnerie surprit Damien qui l’extirpa d’un superbe rêve dans lequel il était en train de s’envoyer en l’air avec Chris Pratt. Le jeune homme fit un bond de deux mètres, chuta de son lit et s’écroula de tout son long sur le parquet de sa chambre.
En panique, il tâtonna le dessus du chevet afin de récupérer son portable et d’éteindre aussi vite cette horrible musique qui bourdonnait dans sa tête. Il dérapa trois fois à cause de sa couette, le faisant pester de plus en plus. Tant bien que mal, il finit par le saisir et décrocher.
— Quoi ? hurla-t-il.
— Encore de bonne humeur ce matin, constata son cousin Matthias. Tu as encore fait la fête toute la nuit et tu es rentré à pas d’heure.
Damien en s’éclaircissant la voix contesta.
— Vraiment ? Tu n’as pas écumé les bars hier soir ?
— Je n’ai fait que trois bars, objecta-t-il. Tu es mauvaise !
Bon, je ne vais pas lui avouer que j’ai commencé à m’amuser à 18 heures et que je suis rentré il y a seulement deux heures, sinon je sens que je vais me faire fracasser méchamment.
— Qu’est-ce que tu veux ? demanda Damien en s’asseyant en tailleur et en grattant sa tignasse hirsute.
— Je viens aux nouvelles, répondit-il, juste avant d’aller me coucher. Alors ta première journée de recherche de boulot ?
— Et bien… Ça avance…
— Mouais…. Bon, en gros t’a rien foutu.
— Mais pas du tout, dit-il faussement offensé. J’ai commencé.
— Laisse-moi devine… Tu as allumé l’ordinateur et lancer Google.
— Pas que…
— Et tu as surfé pendant des plombes sur l’application Grindr, je présume…
— Effectivement, bredouilla-t-il. Tu serais étonné de voir ce qu’on trouve là-dessus. D’ailleurs, je me suis dit qu’il y aurait peut-être des annonces de taf. On ne sait jamais.
— Les seules annonces qu’il y a sur ce genre de truc sont pour les partouzes. Tu vas me faire croire que Grindr est sponsorisé par Pôle Emploi ? Arrête de te foutre de ma gueule, Damien.
Ce dernier soupira.
— Tu n’es pas drôle, maugréa-t-il en s’allongeant sur le parquet complètement nu.
— Tu rigoleras moins lorsque je foutrai tes valises dans le couloir de l’immeuble.
— On n’est pas aux pièces.
— Un peu, si.
Il s’étira de tout son long.
— Tu rentres dans quinze jours ! J’ai tout mon temps !
— Je n’ai pas vraiment l’impression que tu prends tout cela au sérieux…
Damien se redresse légèrement.
— Tu sais à qui tu parles ?
Son cousin renâcla.
— Effectivement ! J’oubliais. Tu ne prends JAMAIS rien au sérieux.
— Je t’ai déjà dit que c’est pour les grandes personnes. Je ne suis qu’un bébé.
Matthias pesta.
— Damien… Tu es irrécupérable. Je ne vais pas te lâcher, tu sais. Je t’appellerai dix fois par jour s’il le faut pour savoir où tu en es. Mais je te préviens dans deux semaines, boulot et appartement ou non, tu dégages.
Damien se déconfit.
— Pardon ?
— Tu as très bien entendu. Fais pas celui qui ne comprend pas.
Livide et un brin hébété, le jeune Bohème articula difficilement :
— OK.OK.
— Je te rappelle à mon réveil pour faire le point. Et tu as intérêt d’avoir du concret !
Sans ménagement, le négociant en vin raccrocha.
Damien soupira, puis d’un geste se releva pour prendre son petit-déjeuner, enfin vu l’heure, ce sera plutôt un brunch copieux.
Pendant qu’il préparait ses tartines de pain grillé et son omelette, il reçut le texto de Cyril, son meilleur ami.
Cyril faisait partie du clan très sélect et très en vogue, grouillant dans le Marias, de ces parfaits gays sophistiqués métrosexuels que Damien aimait tant à critiquer. Il était son total opposé. Ce grand blond aux yeux bleus perçants, d’une trentaine d’années, était toujours impeccable, la barbe de trois jours bien taillée, gaulé comme une gravure de mode, dragueur invétéré, habillé par les plus grands couturiers même s’il s’octroyait le port du débardeur en été et lors des soirées arrosées. Il bossait comme courtier à la Défense, dans une boîte du CAC 40.
Leur amitié avait, pourtant, mal commencé. Les deux hommes convoitaient le mec type dans un sauna gay, une sorte de rugbyman bodybuildé. Tels deux compétiteurs de Formule 1 qui tentent de gagner une course, tous les coups étaient permis ! Chacun rivalisait de techniques de drague plus ou moins subtiles pour pouvoir lui mettre le grappin dessus et pour l’en mener dans une cabine. Au bout d’un moment, le beau sportif leur fit comprendre qu’une partie à trois était plus conviviale et offrait des possibilités avantageuses. Mais les deux jeunes hommes eurent vite une crise de fou rire lorsque leur proie ouvrit la bouche. Malgré son imposante musculature, ce dernier avait une voix fluette, limite de castra, qui gâcha l’envie.
Damien et Cyril finirent la soirée ensemble à se gausser et à médire allégrement sur la faune du sauna. Depuis, les deux compères ne se quittèrent plus.
Ayant la flèche de lui répondre, Damien l’appela.
— Ça va ma poule ? lâcha le golden boy.
— Mouais. Mal de crâne.
Cyril rit.
— Tu m’étonnes ! Avec tout ce que tu as bu !
— Clair.
— Habille-toi !
— Qu’est-ce qui te fait dire que je suis à poil ?
Il explosa de rire.
— Je te connais, ma poule.
Damien leva les yeux au ciel.
— Mon cousin n’est pas là. Je peux me balader à poil, comme il me semble.
— Ce n’est pas ça qui te gêne la plupart du temps ! souligna-t-il.
— Pas faux.
— Enfile un boxer et l’une de tes tenues bizarres et rejoins-moi pour prendre un café.
— D’ici, trente minutes, ça te va ?
— Super ma poule !
Une fois son petit-déjeuner avalé et une bonne douche rapide, histoire de remettre ses idées en place, il fila vers le quartier de Saint-Germain. Il retrouva Cyril, vêtu d’un élégant polo blanc et d’un jean taille basse ainsi que des lunettes de soleil Hugo Boss, à la terrasse du café des Deux Magots.
— Tu n’as pas moins cher comme café ? lança Damien en arrivant à sa hauteur. Non, parce que rien qu’avec le prix d’un espresso, tu t’en dettes sur vingt ans.
— Pleurniche pas, ma poule. Je t’invite.
Les deux hommes se firent la bise.
— Merci. Je vais pouvoir commander une bonne bouteille de Don Pérignon.
— Faut pas exagérer, ricana son meilleur ami. Tu es venu pour prendre un verre, pas pour vider mon assurance-vie.
— De suite…
Un serveur vint les rejoindre afin de prendre leur commande, qui se composa d’un double café viennois pour Damien et d’un café latté pour Cyril. Les deux hommes n’eurent pas pu s’empêcher de mater le joli fessier musclé de leur barman.
— Au moins, on en a pour notre argent, ironisa le blondinet les yeux toujours fixés sur la chute de reins.
Damien confirma sans rire dire, par un simple hochement de tête.
— Tu as vraiment une mine horrible, remarqua Cyril en mirant son meilleur ami. J’en connais un qui ne met plus ses crèmes de vieilles.
— On va dire que je m’attendais à dormir plus longtemps ce matin, surtout.
— Genre ?
— Six de plus ! D’ailleurs, comment tu fais toi ?
— Je suis parti à deux heures du mat’, ma poule. Il faut savoir dire stopper.
— Tout s’explique.
Le serveur sexy revint et déposa ave sassurance les breuvages chauds, puis sans rien dire, retourna à l’intérieur.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Cyril en buvant une lampée de café.
— Rien. Rien, répondit Damien évasif.
— À d’autres. Je te connais par cœur. Qu’est-ce qu’il se passe ?
Le jeune homme soupira.
— Mon cousin m’a donné quinze jours pour trouver un boulot et un toit. Passé ce délai, il me vire de chez lui. Tu te rends compte ?
Cyril sifflota.
— Il a osé te dire ça ? s’écria-t-il, fausse outré. Incroyable ! Je suis choqué.
Damien haussa les épaules.
— Fous-toi de ma gueule, tiens.
— Moi ? Jamais ? C’est pas le genre de la maison.
— Carrément, railla Damien.
— En tout cas, chapeau bas à Matthias. Il a bien tenu avant de te foutre dehors. Ça fait combien de temps que tu squattes chez lui ?
— Pas si longtemps que ça, d’ailleurs. Et puis, je tiens à te préciser que j’aurais pu partir bien avant si quelqu’un avait bien accepté de m’héberger, insista Damien en fixant son meilleur ami.
Son meilleur ami s’esclaffa.
— Même pas en rêve ! Tu es pire qu’un vieux bedonnant dans les saunas, tu colles au cul.
— Exagère pas non plus.
— Ton squattage, c’est comme les travaux, on sait quand ça commence, mais jamais quand ça finit.
— N’importe quoi… articula Damien.
— Je t’aime ma poule, mais je ne suis pas maso… Même si je ne suis pas contre une petite fessée de temps à temps, je dois bien l’avouer.
Soudain, le portable du jeune bohème résonna. Ce dernier zieuta l’écran et raccrocha aussitôt.
— Il ne manquait plus qu’elle…
— Qui ça ? Christine Boutin ?
— Pire… Ma banquière. Elle me harcèle depuis deux jours pour que je renfloue mon compte.
— Tu n’avais pas des économies ?
Il opina du chef.
— Elles se sont évaporées comme les rides sur le visage de Madonna, affirma-t-il d’une voix blanche.
— Tu dois être vraiment à sec, alors ! tonna Cyril en vidant sa tasse de café.
— Je ne te le fais pas dire. Aussi sec que le vagin d’une ménopausée.
Cyril explosa de rire.
— Tu as l’art de la métaphore.
— N’est-ce pas… Mais c’est la triste réalité…
Son meilleur ami fronça les sourcils.
— Sur l’échelle des emmerdes de 1 à 10, tu es à quel niveau ?
Damien fit semblant de réfléchir et lui sortit :
— 12.
Et encore ! Je reste optimiste ! Je dois être plus proche du niveau 50.
— Ton plan d’attaque ?
Braquer une banque et me tirer au Costa Rica pour élever des lamas. Petit souci : j’ai peur des lamas.
— Pas la moindre idée ! C’est tellement le merdier en ce moment. Je prendrais bien un remontant.
— Tu ne vas pas commencer à picoler maintenant ? s’étonna son meilleur ami.
— De quoi tu parles ? Je pensais plutôt au serveur ! Je me ferais bien déglinguer dans l’arrière-boutique.
Cyril émit un rictus et enchaîna :
— Lieu de penser à ce que tu pourrais de ton arrière-train dans l’arrière-cuisine et d’assouvir tes fantasmes de passif sous poppers, tu vas faire quoi exactement ?
Damien le fixa, le regard complètement perdu.
— Aucune idée !
— Même pas une ébauche ?
Le jeune homme secoua négativement la tête.
Son meilleur ami retira ses lunettes et les déposa sur la table en zinc poli
— Écoute, j’ai peut-être pas d’idée pour ton souci de logement, mais j’en ai peut-être une pour le boulot.
Damien se raidit.
— Je suis tout ouïe.
Cyril lui donne une tape amicale sur l’épaule et lui sort :
— Voilà, si tu fais exactement ce que je te dis, tu pourrais décrocher un travail dès demain soir.
A suivre....
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